Di Joséphine Hobeika da L’Orient le Jour (Libano) del 25 gennaio 2021
In occasione del novantesimo anniversario del poeta Adonis 150 personalità si sono ritrovate online per celebrare l’artista.
CéLéBRATION PLANéTAIRE DU POèTE ADONIS, NONAGéNAIRE INSPIRé ET ADMIRé
Alors que le musicien Abd al-Malik partage des vers du Livre des extases, Hoda Barakat raconte comment la poésie d’Adonis lui a révélé, sur les bancs de l’école, la beauté de la littérature arabe. De Marcel Khalifé à Peter Handke, en passant par Dominique de Villepin, Abbas Beydoun ou Tahar Ben Jelloun, sur la plateforme adonis90.org, les interventions sont multiples et croisent les regards, les registres et les émotions. Qu’ils soient artiste, écrivain, scientifique, philosophe, éditeur, ils ont répondu présent au projet initié par Donatien Grau, universitaire et écrivain. « J’ai été frappé de constater qu’il n’y avait pas d’initiative de prévue pour célébrer les 90 ans d’Adonis, et nous en avons parlé avec Arwad Esber, sa fille, une grande programmatrice culturelle. Nous avons réfléchi à un nouveau modèle qui ne soit pas institutionnel, mais plutôt un espace de liberté pour les artistes, les créateurs, les activistes, et c’est ce que nous a offert le format numérique. L’avantage, c’est qu’il nous permettait d’associer des figures du monde entier, ce monde d’admiration pour Adonis, ce que n’aurait pas permis un événement », précise le spécialiste en philologie classique. Plusieurs artistes ont participé à la création de ce projet, qui réunit des séquences filmées dans le monde entier, et la dimension collective est essentielle. « Ninar Esber a réalisé certaines vidéos, comme celles de Vénus Khoury-Ghata ou Hélène Cixous ; le design du site a été effectué par Claudio Dell’Ollio, un grand directeur artistique dans la mode. Philippe Monfouga, Philippe Cabaret, Patrick Steffen et bien d’autres nous ont beaucoup aidés ; tous sont liés à la création et ils admirent profondément Adonis, qu’ils le connaissent personnellement ou par son œuvre. Theaster Gates, grand artiste afro-américain et professeur à l’Université de Chicago, a fait une magnifique vidéo, même s’il n’a jamais rencontré le poète, tout comme Anish Kapoor ou Ai Weiwei. Ensemble, nous avons souhaité créer cet appel d’air, cet exercice d’admiration, pour reprendre une formule de la rhétorique antique », poursuit Donatien Grau avec détermination.
Arwad Esber, qui a dirigé la Maison des cultures du monde plusieurs années et qui est actuellement programmatrice culturelle, confirme cet élan qui caractérise l’événement. « Les réactions positives des participants m’ont vraiment enthousiasmée, et ce fut un plaisir de contacter des amis de longue date d’Adonis, comme Samir Sayegh, Dominique Eddé ou Vénus Khoury-Ghata, qui a parlé avec beaucoup de cœur d’aspects très personnels et de l’expérience de leur voyage en Iran. Toutes les interventions sont émouvantes, je pense en particulier à celle de Salman Rushdie, d’Edgar Morin ou de Lemi Ponifasio, qui est un artiste et metteur en scène maori. Sa création de l’année dernière à l’opéra de Wellington pour le New Zealand Festival était construite autour d’un long poème d’Adonis qui s’appelle Jérusalem. » Cette performance planétaire révèle une puissance poétique fascinante et unique dans les textes d’Adonis.
Adonis, « rock star » de l’Asie du Sud-Est
Donatien Grau a rencontré Adonis alors qu’il était élève à l’École normale supérieure, il y a une dizaine d’années. « J’avais organisé une série de conférences avec le grand commissaire d’exposition Hans Ulrich Obrist, auxquelles a participé Adonis. Nous avons commencé à parler de poésie, d’art, de sa pratique visuelle. En 2015, j’ai organisé avec lui une exposition de ses œuvres à la galerie Azzedine Alaïa ; en 2016, je l’ai accompagné sur le tournage d’un film au Chili, et j’ai relu avec lui plusieurs traductions, comme celle du Livre des extases (Les Belles Lettres, 2017) d’al-Niffari », indique celui qui est sensible à la langue très particulière du poète franco-syrien. « Cette langue est à la fois très philosophique et très poétique, certaines de ses traductions sont très réussies, comme celles de Vénus Khoury-Ghata, elles rendent bien la densité de pensée de l’œuvre ainsi que la puissance, l’élan de son inspiration poétique. Adonis réussit non pas à atteindre l’équilibre entre les deux, mais à les pousser à une telle intensité que leur exacerbation est un équilibre, et c’est unique. Ce qui me fascine aussi chez lui, c’est sa capacité à être résolument moderne, il est l’un des auteurs qui ont révolutionné la poésie et qui ont inventé de nouvelles formes, et en même temps il est d’une expertise historique absolument remarquable », analyse le jeune auteur.
Adonis est une immense figure littéraire, qui a changé des vies, ce que Donatien Grau souligne avec insistance. « Sa puissance symbolique est extraordinaire et il la tient de la poésie. Il faut savoir que les traductions ont un impact énorme : lorsqu’il se rend en Chine, en Indonésie ou au Bangladesh, il est accueilli comme une rock star ! Adonis n’est pas une personne de pouvoir qui fait de la poésie, c’est peut-être le plus grand poète au monde, et du fait de l’ambition de ses textes aussi bien épiques que didactiques, amoureux, théologiques, il a gagné un empire. La dualité entre cette souveraineté extraordinaire et sa présence parmi nous, élégante, humaine et généreuse, est absolument unique. Son œuvre est à la fois de l’ordre de l’extrême intimité au monde, à la langue, à sa langue, la langue arabe, mais aussi à la pluralité des langues. D’ailleurs, dès le début des années 60, dans la revue Chi’r, il traduisait des textes français. Le secret de sa parole publique est qu’elle est toujours ancrée, à la fois dans le privilège et les ressources du poète. »
Entre le travail de l’artiste visuel et la poésie, les connexions sont multiples. « Adonis intègre souvent des poèmes dans ses œuvres, ce sont rarement les siens, et il les copie et les appelle ses raquima, c’est une sorte de collage. Il y combine des matériaux pauvres et la grandeur de la poésie : cette combinaison est au cœur de sa création. Il a le souci d’assembler toutes les entités du monde : des minéraux, des végétaux, et il utilise des couleurs, souvent de l’encre, pour créer des sortes de formes fantasmagoriques qui font penser à un dessin automatique. Le surréalisme est fondamental dans son œuvre, et il le connecte à la pensée et la mystique soufies », conclut celui qui a mis en place, avec d’autres artistes, de nouvelles modalités pour la vie créatrice.
Selon Arwad Esber, son père a été très ému par tous les messages qu’il a reçus, de tous les continents, pour son anniversaire. Le prochain livre d’Adonis, Adoniada, paraîtra aux éditions du Seuil en mars, dans une traduction de Bénédicte Letellier, avec une particularité notable : la traduction en français sera éditée avant le texte original en arabe.